Pour le médecin
entrepreneur Laurent Alexandre, les thérapies géniques permettront de venir à
bout de la maladie d'ici quinze ans. Interview et répliques des experts.
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Un chercheur du Centre de lutte contre le
cancer de San Francisco analyse les variations génétiques susceptibles
de provoquer des cancers (Justin Sullivan/Getty Images/AFP ) |
Dans "La
défaite du cancer" (Lattès 2014), le médecin entrepreneur Laurent
Alexandre affirme que les thérapies géniques permettront de venir à bout de la
maladie d'ici une quinzaine d'années. Visionnaire ou utopique ? Nous l'avons interviewé
tout en donnant la parole aux experts qui conteste sa thèse.
Comment a germé
l'idée de votre livre ?
- Laurent
Alexandre : J'ai écrit deux articles dans "le Monde" sur la génétique
du cancer. Et quand je me suis rendu compte, aux réactions des gens, qu'ils n'y
comprenaient rien, je me suis dit que ce serait bien de faire un peu de
pédagogie. De raconter l'histoire de la lutte contre le cancer, comment on a
découvert qu'il s'agissait d'une maladie de l'ADN, mais pas d'une maladie
héréditaire. Parce qu'en termes de causalité le cancer est à seulement 15%
d'origine génétique et à 85% d'origine environnementale ou hasardeuse, avec des
mutations postérieures à la naissance. D'où l'importance de la prévention -
l'alimentation, l'hygiène de vie -, qui reste et restera toujours le meilleur
traitement anticancer.
N'êtes-vous pas
trop optimiste quand vous prévoyez la maîtrise du cancer avant 2030 ?
- Attention, la
maîtrise du cancer, ce n'est pas la fin du cancer ! C'est faire du cancer en
2030 ce qu'est le sida aujourd'hui : une maladie chronique très désagréable,
mais qui ne sera plus mortelle, avec une espérance de vie presque identique à
celle des non-malades. Je ne prétends pas détenir le moyen de traiter le cancer
: je ne suis pas Rika Zaraï. C'est une maladie très compliquée, et ça va être
un long combat. Mais on va le gagner, grâce à l'analyse génétique intégrale des
tumeurs et au traitement massif de ces données informatiques, grâce aux
traitements personnalisés sur mesure et aux thérapies géniques ciblant les
mutations à l'origine de la maladie.
Parmi les 40
héros de la lutte historique contre le cancer, dont vous faites le portrait,
quels sont vos trois préférés ?
Bill Gates, le
fondateur de Microsoft, Gordon Moore, le fondateur d'Intel, et Watson, le
programme expert créé par IBM.
Quoi ? Deux
informaticiens, un ordinateur, mais pas un biologiste, ni un médecin ! Pourquoi
?
- L'homme qui
permettra d'éviter le plus de cancers au XXIe siècle, c'est Bill Gates, que je
tiens pour le plus grand philanthrope de tous les temps. Parce que la Fondation
Bill & Melinda Gates finance des opérations de santé publique et des
programmes de vaccination pour 280 millions de gamins en Afrique. Or l'Afrique
est le continent où jusqu'à 50% des cancers sont liés à des maladies
infectieuses et notamment virales, contre 20% à 25% chez nous...
Mon deuxième
héros, c'est Gordon Moore, l'inventeur du microprocesseur et cofondateur
d'Intel. Parce que le pire ennemi du cancer, c'est le "big data" :
l'analyse de milliards de milliards de données biologiques, et que c'est Moore
qui a lancé la course à la puissance informatique, en énonçant sa fameuse loi
de Moore. C'est parce qu'il a affirmé qu'à prix égal la puissance des
ordinateurs allait doubler tous les dix-huit mois que l'industrie mondiale des
circuits intégrés a investi les milliards qu'il fallait pour rester dans cette
épure-là.
Et c'est cela qui
a permis le séquençage intégral de l'ADN humain, dès le début des années 2000,
puis l'essor de l'analyse massive des données génétiques, qui est nécessaire
pour comprendre les spécificités de chaque cancer.
Les experts
répliquent à la thèse de Laurent Alexandre
Axel Khan,
généticien * : "La victoire définitive est hors de portée"
-"Il y a des raisons théoriques de dire
qu'il est possible de remporter des batailles contre le cancer - on en a gagné
de considérables déjà -, mais il est pratiquement impossible de gagner la
guerre définitivement.
Et cela pour une
raison intrinsèque, inhérente aux mécanismes biologiques : le cancer, c'est une
forme de vie qui nous agresse.La vie cancéreuse attaque une vie saine, comme le
font des vies bactériennes, virales, parasitaires. A mesure qu'on développe des
armes efficaces, qu'on remporte de belles batailles, la sélection naturelle
fonctionne : les quelques individus - cellules, bactéries ou virus - qui
résistent aux médicaments merveilleux qu'on a développés deviennent encore plus
résistants.
Le génome des
cellules cancéreuses s'adapte très rapidement, il mute, il se modifie plus
encore que dans les cellules normales. L'évolution naturelle de beaucoup de
cancers est donc l'apparition de ces cellules cancéreuses qui deviennent
totalement insensibles au traitement administré. C'est ce qui explique les
rechutes lorsqu'on traite très longtemps un cancer ou une leucémie.
Ainsi, il est
difficile d'imaginer théoriquement une victoire absolue, complète, même si de
très grands et beaux succès vont être obtenus grâce à la thérapie ciblée, et à
une meilleure connaissance des mécanismes du cancer. Il est hélas sans doute
aussi inadapté de promettre la victoire définitive contre le cancer que celle
contre les maladies infectieuses. Plus de cinquante ans après les
antibiotiques, celles-ci restent les premières causes de mortalité à l'hôpital.
En revanche, on peut parler de victoire contre le cancer mortel à brève
échéance, car de plus en plus il se transforme en maladie chronique."
* Président du
Comité Ethique et Cancer.
Laurent Schwartz,
cancérologue * : "Le cancer est une maladie simple"
"Le cancer
pourrait disparaître plus vite qu’on ne le pense. La révolution arrive quand on
ne l’attend pas. Le problème est que nos hypothèses de fond ne sont pas les
bonnes. Pour preuve : le nombre de morts par tranche d’âge pour 100.000
habitants n’a pas baissé depuis les années 1960. On traite le cancer avec des
médicaments high-tech qui s’avère peu efficaces, à part le Glivec, qui soigne
une forme rare de leucémie.
L’approche de la
maladie est trop partielle. Plutôt que d’entrer dans la particularité de chaque
cellule, il faudrait plutôt voir ce que les cancers ont en commun.
C’est une maladie
simple. Depuis les années 1930, on sait que les cellules tumorales captent le
sucre et ne peuvent le digérer. Le jour où l’on arrivera à stopper ce
phénomène, on aura des chances de guérir le cancer. Des dizaines de milliers de
molécules existent déjà, il faut juste faire le tri. L’analyse du génome des
tumeurs par ordinateur, c’est très accessoire. Un ordinateur n’est qu’un outil.
Il peut tester des hypothèses, mais en aucun cas les formuler.
* Auteur de " Cancer. Guérir tous les malades
?" (Ed. Hugo Doc, 2013)
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Pari-T Association de lutte contre le sida : www.pari-t.com